Dans les ruelles de nos esprits, du côté peuple de nos vies,
Là où les lampadaires baignent de lumière douce et de chaude tendresse les pavés à jeter (bientôt) sur les trognes goitreuses des imbus de leur pouvoir, là où subsiste vaille que vaille la résistance, y a un grand type, un escogriffe à cheveux longs, un vieux prophète à la voix grave qui nous balance des mots violons, de la musique et de l'amour un peu bourru.
Il a le cœur si grand, ce grand type, qu'on pourrait y loger tous les paumés des bals perdus, tous les arpenteurs de jours sans pains, les voyageurs immobiles, les sans tickets, allocataires de l'amitié, les maigres-comme-un-clou en régime d'affection, les crieurs de désordres et les piétons de la langue.
Et tout ça, l'air de rien. L'air de ne pas y toucher, si ce n'est du bout des doigts les cordes d'une guitare, les touches d'un piano.
La langue de Jacques Ivan Duchesne, c'est de lui qu'il s'agit, est pétrie de mélancolie et d'abandon, elle roule des mots limpides qui raillent doucement, qui poussent nos regards à moins se détourner les yeux. Le sourire qu'il nous tend est toujours mouillé de quelques larmes, les notes des guitares jamais loin de l'alarme, et c'est l'âme un peu vague qu'on le verra partir vers d'autres cabarets.
Dans les embruns de ses vagues à l'âme scintillent tous les maudits du monde, dont les artistes, les poètes (vos papiers !), les chanteurs qui sont restés du côté du piano et du côté du bar, et l'on ne comprend pas comment diable il se fait que leur soit préférés ceux qui font tourner des fauteuils quand eux nous font tourner le cœur, la tête et l'émotion.
Faudrait qu'on fasse gaffe, ne pas attendre l'Ivan d'hiver pour s'apercevoir, les yeux décillés enfin, mais trop tard, que nous avions tout proche, des pépites d'or brut.

                                                                 (Christophe Kauffman)